Katia Zagoritis, Audrey Cavelius
04/06/2024 - 06/02/2024
Katia Zagoritis
Prenons une géopolitique de l’espace imaginaire composé de dedans, de dehors avec des passages par l’émotion, que nous maîtrisons généralement en la niant. L’artiste nous propose, avec la céramique, de garder le contrôle de l’horreur, par la présence douce, forte, cristallisée de gardiens. Les monstres sont figés, mais il est difficile de traverser ces représentations sans avoir le fantasme que, potentiellement, elles pourraient se mettre en mouvement et nous arracher à notre torpeur. Elles ne sont que silence, ces bouches immobilisées, leur appel au secours dont le cri n’est pas entendu, aux spectateurs de leur donner une dimension audible.
Le travail de Katia Zagoritis est réel, toute fuite serait vaine, une fois que vous avez vu ses pièces, il n’est plus possible de faire semblant.
Il reste le geste artistique, brutal, entier, militant. Le matériel heurtant le regard de l’autre. La gestuelle de l’artiste qui peint, sculpte, présente, offre dans cette œuvre, un témoignage tangible de la terreur, l’horreur vécue. Passage délicat de la carte au territoire, où nous sommes confrontés à l’immense sensibilité de l’artiste. Une installation invitant le spectateur à devenir le témoin d’un processus envoyé à l’agresseur, dans l’attente d’une réponse sociétale car le silence a toujours profité à l’abuseur.
Audrey Cavélius
--------------> sur Rsr la première
SERIES
Serial women
Reine d’une nuit de vinyle, femme peau rouge, peau de vache, nouvelle Eve passée au jaune d’oeufs, femme-flic, de dos, képi, jambes nues et chaussures trop grandes, body-buildeuse plantureuse engoncée dans le dessin de ses muscles, femme phallus version chlorophylle, footballeur en plein tir au but…
Celui ou celle pris.e dans ce manège ne sait plus où donner de la tête.
Il/elle assiste médusé.e aux possibles identitaires de trois femmes qui se cherchent, s’inventent, et s’invitent à se dépasser.
Des possibles qui s’accrochent au réel, ou qui au contraire s’en détachent avec jouissance. Titillant le sublime, s’ébrouant dans le trivial, jonglant avec les genres, osant le spectaculaire, le stylé, le sans dessus parfois ni dessous, Audrey Cavélius, Dominique Godderis-Chouzenoux et Teresa Vittucci sont les protagonistes de cette cathartique mascarade.
Derrière elles, une grande tradition artistique les précède où le travestissement, la transformation, le passage d’un genre à l’autre, la nécessité de mettre à jour les stéréotypes, les catégorisations et les binarismes constituent les axes fondateurs d’un certain art du XXème siècle.
En vrac, et dans le bon ordre, on repère Rrose Sélavy, cet alter ego féminin fictif créé en 1920 par Marcel Duchamp et immortalisé par Man Ray.
On songe également à l’artiste suisse Urs Lüthi qui n’a de cesse depuis les années 70 de creuser - non sans humour- le questionnement de l’identité, dans sa dimension genrée et dans le rapport à autrui.
On s’offre un arrêt sur les self-hybridations de l’artiste française Orlan, mixant sa propose image à celles de visages provenant de différentes cultures, elle fait de son corps et de ses images l'instrument privilégié où se joue notre propre rapport à l’altérité.
Plus proche de ces portraits de femmes multiples proposées par Audrey Cavélius et ses acolytes, l’oeuvre de Cindy Sherman semble a priori être une source évidente. L’artiste américaine apparaît comme la grande soeur de ces 3 virtuoses de la transformation.
De ses premières photographies noir et blanc inspirées par les vieux films américains ou dans sa série en couleur autour des clowns, ses corpus jouent sur ce que l’on paraît être et ce que l’on veut être réellement conformément à ses désirs. L’utilisation du propre corps de l’artiste américaine n’est néanmoins pas autobiographique, il est toujours imaginé par le biais d’une transformation, d’un contexte et d’une mise en scène, il met en joue les stéréotypes féminins. Au fil du temps, son corps devient le support d’une histoire collective.
Si l’on repère facilement les zones de contact entre l’oeuvre de Sherman et les portraits des 3 interprètes, il est bon aussi d’en distinguer les différences qui reposent également sur une transformation, un contexte, et une mise en scène, hors champs cette fois-ci.
Cette succession d’images est tirée de la création Séries d’Audrey Cavélius présentée en 2018 à l’Arsenic - Centre d’art scénique contemporain, Lausanne.
Basées sur la quête de l’identité et de ses propositions infinies, les voici aimantées par le principe de ce qu’on pourrait nommer Je est un autre et pourquoi pas un jeu.
Un plateau-matrice orgiaque où tous les accessoires, vêtements, maquillages, matériaux ont nourri ces heures de métamorphoses.
Pas d’idée préconçues, ni de scénario; aller à même la matière, sentir le corps, suivre le guide de ses obsessions, intuitions, zones d’inconfort.
A côté du plateau, un studio photo mis en place et en lumière par Julie Masson, où il suffit de prendre la pose et de déclencher soi-même la ou les prises. Une fois les portraits réalisés, chacune s’en retourne ailleurs, sur le plateau pour voir si elle y est.
Ce moment intime, ce face à face avec soi s’inscrit dans la continuité de la création en cours. Au départ, ces images devaient simplement servir à alimenter le carnet de bord de Séries. Pour la plupart, elle témoignent donc toutes d’une liberté de se projeter, de se chercher sans le poids d’avoir à exécuter quelque chose d’utile, de politique, elles se situent au loin d’un statement in progress.
Trois petits tours et puis s’en vont.
Ainsi, ces variations de soi nous susurrent à l’insu de leur plein gré et dans leur inventivité contagieuse l’illusion d’une construction identitaire à travers l’image.
Ainsi soient-elles.
DISTRIBUTION
Mise en scène, scénographie : Audrey Cavélius
Création, interprétation des photographies : Dominique Godderis, Teresa Vittucci, Audrey Cavélius
Dispositif photographique : Julie Masson
Aide à la création des parures : Cécile Delanöe
Texte : Florence Grivel
COPRODUCTIONS
Arsenic - Centre d'art scénique contemporain, Lausanne, Théâtre St Gervais, Genève, Pour-cent Culturel Migros.
SOUTIENS
Bourse de compagnonnage Canton de Vaud / Ville de Lausanne, Pro Helvetia, Loterie Romande, Fondation Nestlé pour l'Art, Société Suisse des Auteurs, Migros Vaud, Fondation Engelberts.
PRODUCTION
NNC - NoNameCompany
VISAGES / ÊTRES
En 2018, Audrey Cavélius propose Séries, une création qui marque un tournant dans son travail.
Une oeuvre sans texte. Une oeuvre pourtant dont le verbe se fait chair.
Sur scène 3 femmes dont on suit les corps qui lentement se plient, se déplient, se déploient, des corps qui échappent à toute projection, puisque le public - grâce au décor - n’en voit que des fragments.
Autrement dit, le corps ne s’offre pas dans son signifié - selon l’acception saussurienne-, mais dans son signifiant, c’est-à-dire dans la représentation mentale de la forme et de l'aspect matériel du signe.
Cela va même plus loin, au moment où les 3 performeuses munies de micro-caméras s’auto-filment: se dessine alors sur l’écran de la scène un nouveau territoire de l’incarnation inédit, méconnaissable, déroutant, fertile.
A ces séquences à la pulsation lente, s’ajoute un diaporama au rythme rapide, apparitions d’images où l’on assiste à la prolifération d’identités féminines, femme-vulve, femme-garçonnet, femme-déesse, executive-woman, femme-chimère, femme-fatale, femme-triviale,…
autant de possibilités d’être qui se manifestent par ces corps travestis.
Avec Visages, Audrey Cavélius creuse et développe à partir des nouvelles donnes insufflées par Séries. Dans cette création, deux parties distinctes, des visages-corps et des images-corps.
Le processus créatif chez Audrey Cavélius démarre souvent par le jeu, Je est un autre, jeu est un autre, on l’a déjà dit.
Soit le corps nu auquel on ajoute quelques accessoires pour qu’il se transforme en visage, les seins deviennent les yeux, le pubis une moustache, une série de positions pour que ce visage porte l’expression d’une identité, de ressentis, d’émotions.
Si de ce côté-ci, on goûte à une narration ludique, drolatique, voire surréaliste, avec les images-corps, Audrey Cavélius nous immerge dans une autre dimensionnelle où l’espace-temps devient le récit de métamorphoses sans résolution, mais le coeur même d’une révolution.
Face à nous, une femme nue dont on ne perçoit pas le visage; nous sont donnés à voir le dos, les épaules, les cuisses, les fesses, les mains, la chevelure. Ce nu est canonique, il coche toutes les cases du standard, du mètre étalon de la nudité.
Si les parties du corps sont reconnaissables et familières, leurs mouvements ne correspondent à aucun langage connu, le regardeur.se ne peut pas emprunter des raccourcis de sens, pas de synthèse, plutôt une invitation à voir ce qui se passe devant soi, sans détour.
Parfois, ce corps devient un visage, les épaules ainsi positionnées ressemblent à des yeux globuleux, la chevelure à une barbe… Si la tentation de la paréidolie est présente, une autre dimension pourtant fait jour; soudain ce corps si habituel, si « banal » devient monstrueux, créature fantastique, inquiétante, intrigante.
Dans cette époque où les identités croissent côte à côte, parfois sans lien ou sans dialogue, Audrey Cavélius fait le pari d’une complexité intérieure inspirante, elle décalcifie les types, les genres, les étiquettes, elle les enjoint à danser ensemble.
DISTRIBUTION
Conception, mise en scène, photographie : Audrey Cavélius
Interprétation, collaboration artistique : Anne Delahaye, Audrey Cavélius
Création accessoires sur mesure : Gabi Fati
Peinture sur corps : Pauline Fries
Composition musicale et interprétation : Christophe Gonet
Texte : Florence Grivel
RESIDENCES DE CREATION
Ferme des Tilleuls, Renens, Arsenic - Centre d'art scénique contemporain, Lausanne
SOUTIENS
Prairie - Pour-cent culturel Migros, Ville de Lausanne
PRODUCTION
NNC - NoNameCompany