Catherine Liechti : Mala Noche, installation de peintures sous verre, dimensions variables, 2019
Eric Sansonnens : Jalousie basaltique VII, frêne oxydé au fer, H 40cm, 2017
ÉLOIGNER LA NUIT
Fuir ou rester ? Déserter ou poursuivre ? Par moments, cette tentation d’arrêter. Stopper ! Mais, l’indicible besoin d’y être. Et puis, l’éternité ne se destine pas aux vivants. Alors créer pour exister un peu. Juste continuer puisqu’il en est ainsi.
Eric Sansonnens voulait raconter une histoire en espérant ajouter d’autres mots à son vocabulaire. Étoffer l’expression de ses sensations et réflexions. Connaissant le travail tellement intègre de Catherine Liechti ; la réelle implication qu’elle impose à son œuvre, qu’elle permet aussi grâce à la maîtrise d’une large palette technique… Exposer ensemble.
Les deux se questionnent sur ces vagues de doutes qui les touchent, comme tout un chacun. Puisque ces ombres sont à l’intérieur, impossible de leur tourner le dos. Alors, ils choisissent plutôt de leur prêter l’oreille, comprendre ce qu’ils sont ; les caressent ; cherchent à les apprivoiser. Puis émergent des formes, des traits, des images, des volumes. Matérialisation de ce processus. Possibilité de métamorphoser l’obscurité en lumière… d’éloigner la nuit.
Cycliquement, Catherine est notamment confrontée à la si fragile décision : A quel moment une pièce est-elle terminée ? Aller plus loin ? En rester là ? Effacer ? Ajouter ? Renforcer ? Préciser ? Eric n'a pas vraiment d’explication à cet instant si délicat. Il s’arrête parfois insatisfait. Sait que sa sculpture ne pourra vivre à son regard… Abandon. Mais abandon provisoire étant donné qu’il va recommencer. Ce ratage va peut-être servir à sa prochaine réalisation. Il retournera fouiller un autre tronc, explorer son intérieur ; écouter l’autre, le sonder et là, trouver sa juste respiration. Pour dissiper ces brumes, Catherine a quant à elle besoin d’expérimenter. Tester différentes interventions sur un même thème avant de faire un tri.
En déposant délicatement l’acétate sur l’aluminium, Catherine Liechti, imprime ses images floutées, traces suggestives pour susurrer le propos plutôt que le crier. Ces mêmes formes plus précises semblent aussi se cacher derrière un rideau de couleur. Ou alors est-ce une manière de plus fortement leur donner corps ?
D’autres fois, comme ces formes qui, invisibles dans la nuit, émergent à la moindre lueur, elle demande au soleil de révéler des silhouettes. Objets éthériques qui doucement se détachent du bleu. Des bourgeons qui s’épanouissent et des nœuds qui se défont. Expression du choix possible d’ouverture à la vie plutôt que de rester enlisée dans les marasmes de l’existence.
Par sa peinture sous verre, Catherine questionne la notion de marges. Constituent-elles des limites ? « Lorsque les marges prennent vie, la position à laquelle je me croyais assignée devient mobile ». Quelles sont les limites d’une couleur ? Quand voit-on un rouge plutôt orange ou violet ? Elle illustre ces différences de perception, de contextes et d’environnement par des dégradés de rouges dont le motif est une ligne, une marge ou une limite.
Des peintures sous verre aussi parce que comme dans ce conte, où un toit fut construit sur la fontaine de village, afin d’éviter que les animaux boivent la lune s’y reflétant, n’est-il pas vain de se protéger de ce qui nous dépasse ?
Du vacarme, Eric extirpe ses vers pour composer ses odes à l’essentiel. Il fige ces formes comme un arrêt sur image afin d’approcher l’unicité extraite à la frénésie, au chaos. Avec ses machines un peu féroces, il plonge dans le bois à la recherche du dedans. Il affronte aussi l’obscurité en allant tout au fond. Que peuvent bien cacher ces profonds sillons, ces gorges mystérieuses ? S’y promener afin de constater que même si elles peuvent paraître effrayantes, elles ne sont pas si dangereuses. Et puis, elles existent grâce aux parois qui les bordent ; au-dessus il fait plus clair. Encore cette dualité entre clarté et pénombre ? Ou alors complétude du jour et de la nuit ? À la lumière, même le noir devient couleur.
La rudesse de la taille laisse derrière elle multitude d’échardes, comme le hérisson que ses piquants rendent insaisissable. Mais de nouveau, Eric veut que l’on puisse caresser les différents méandres de ses pièces. Pas seulement voir mais également toucher les traces laissées dans le bois, hiéroglyphes à lire aussi du bout des doigts. Pour qu’ainsi chacun puisse y faire sa propre lecture. Afin de rendre cette approche possible, il brosse longuement la sculpture. Moments d’intimité avec chaque endroit de la pièce.
Chacun à leur manière, ils appréhendent le doute pour éloigner la nuit. Et vous ?