Laurent Dominique Fontana
04/01/2023 - 04/23/2023
La respiration du temps |
Laurent-Dominique Fontana
Le geste de sculpter crée l’espace entre la lumière et l’obscurité : le corps, le noir, le destin, la joie, le rouge, la douleur.
Sculpter, lutter dans une forme d‘acharnement à dire le sens tragique de la vie : la passion, le bonheur, la volupté, la douceur, la beauté du monde et, en contre point, le cri, le déplacement des ruines, la trace des voix, l‘insupportable conscience des blessures de la nature et des êtres humains. Sculpter le temps, l’étrangeté du jour et de la nuit.
Pour répondre à ce désir, comment dépasser l’aporie d’une écriture entre l’amour, la mort et la tragédie? La seule voie : sculpter dans cet interstice mouvant et impossible par lequel le temps respire la passion heureuse et déchirante de la vie.
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Le bruit à l’entrée de l’atelier, de multiples petits carillons, annonce l’arrivée de l’intruse. Il est averti, tu n’entreras pas sans bruit. Ta carte blanche s’emplit déjà de sons. Sur une table, les outils, pseudopodes des mains, elles-mêmes moissonneuses de l’esprit qui les façonna. Mais parlons d’autre chose, elles, les mandragores, dont moult légendes fécondées d’anthropomorphismes, immenses parfois, quand elles sont vieilles, elles peuvent s’enfoncer à plus d’un mètre. La crainte ensuite, celle d’être touché, empoisonné, alors qu’une infime quantité de son suc pouvait guérir les morsures de serpents ou amortir une douleur véhémente. Selon Théophraste, « Il faut tracer autour de la mandragore trois cercles avec une épée, (il prend le pinceau, qu’il a prolongé à la distance de la netteté de son œil), couper en regardant vers le levant, (la lumière douce de l’après-midi donne aux blancs des langueurs diaphanes, phosphorescentes), danser autour de l’autre et dire le plus grand nombre possible de paroles grivoises ». D’un geste il montre les tracés délicats telle une lettre calligraphiée sur une autre lettre et encore un idéogramme couvrant la lettre antérieure, ainsi la plante croît, nourrie, elle laissera des traces. Autour, nous pourrons nous perdre dans « le vaisseau de la matière », des sculptures, sentir les respirations de l’artiste, cisaillées, incisées, cousues de silence, fissurées, creusées, car il n’y a pas l’homme d’un côté et son travail de l’autre, mais un homme pétri par son travail et une œuvre pétrie par son auteur. .(sic) Laurent-Dominique Fontana est un père fondateur gardien du feu de la création, ce qui n’est pas sans danger.
Claudine Oggier